Demande de changement de spécialité Pierre BENSOUSSAN FNFL

Bensoussan l'avait mauvaise. Il avait préféré contrairement à son habitude, prendre une table en terrasse. Le zinc, pour ne pas dire la planche de bois du bouge, n'exposait que trop à la provocation imaginaire d'une bousculade, d'une éclaboussure, ou d'un simple regard. Cette perspective aurait pourtant eu l'avantage de le soulager, mais il avait déjà trop abusé de ce procédé pour récidiver sans fâcheuses conséquences.
Et puis ce bouge quasi-clandestin de bord de plage, la Guinguette qu'ils l'appelaient, il l'aimait bien.
On pouvait y déprimer dans une bonne ambiance, plus locale qu'européenne.

Il ôtait son chèche quand la serveuse lui posa sur la table des consos qui lui arrachèrent un demi-sourire, tandis qu'il se renfonçais dans son siège d'osier. Un rhum, et quelques amuse-gueules. Il croisa le regard de Sylvestre, le barman, et le remercia pour tout par un battement de cils. Négligeant le rhum, il se redressa pour picorer le premier et confectionner le second.
La perte de son bâtiment l'avait affecté car elle résultait finalement de la non-transmission d'un simple câble. Et qu'épuisé par les nuits précédentes, il s'était couché plus tôt que d'habitude. Quelle guigne !

L'algérois balança son siège en arrière, le butant contre le bois faisant office de garde-corps, et allongea ses jambes sur la table. Il recracha la fumée de sa première bouffée vers le ciel étoilée, et resta quelques instants les yeux mi-clos à faire mine de mirer la voute céleste. C'est Sylvestre qui le ramena sur terre...
Hé ! Pierrot !! J'ai eu l'info !...
- Prends un siège, Sylvestre. Et raconte-moi.
- Je tiens cela d'un de mes cousins, qui a pour débiteur un sous-marinier américain qui est cul et chemise avec un gars de l'amirauté..
- Va-y abrège, qu'est ce qu'il a dit ??
- Il a dit que normalement c'est pas possible, mais que cela pourrait quand même être possible si tu vas voir directement le fameux gars de l'amirauté pour lui soumettre ta demande de lâcher le surfacier pour sulfater en submersible !
- Okay, il s'appelle comment le gars ?
- Heu... Monsieur Ladmin.
- Okay, merci Sylvestre, c'est comme si c'était fait !

Cela faisait bientôt 3 mois que le Capitaine Bensoussan avait retrouvé sa ville natale. La situation était toujours confuse et le coup d'éclat de l'opération Torch n'avait pas réglé tous les problèmes. De nombreux cadres vichyssois perduraient à leurs postes et sa visite à l'Amirauté le jour de son arrivée s'était soldée par une réponse sibylline, dont l'absence de réaction qui devait suivre illustrait la perfidie alors qu'un sous-marin demeurait toujours à quai dans le port d'Alger.

Cette permission, de fait, lui avait permis de visiter tranquillement la famille, et de trinquer avec la plupart de ses amis. Mais les nombreux témoignages des dures et injustes épreuves passées avaient fini tantôt par lui saper le moral, tantôt par lui donner la rage. Il décida vite de prendre le large pour louer une petite piaule sans fenêtre à Sidi-Ferruch, dans un bouge comme il les aimait : authentique et avec une forte identité, en l'occurrence espagnole.
Une sorte d'auberge dont le principal avantage résidait dans la distance entre son lit et le zinc. Très pratique, surtout pour le retour s'il n'y avait pas eu trois satanées marches, qui trop souvent l'obligeaient en malheureuse conséquence, à escalader son lit plutôt qu'à s'y laisser choir...


Il eut tôt fait de prendre de mauvaises habitudes. Il dormait le jour et passait ses nuit à griller tige sur tige, et à s'enfiler une anisette entre chaque cigarette... Son physique respirait le laisser-aller, et la mélancolie le rendait chaque jour plus avare de paroles...
Une aube pointait quand Marisa la tenancière le héla :
Hola Pierrot !  Tou va l'avoir cuando tu barco, cabroncito ?
- Mmmmm....
- Porque ca commence à faire une pequeno momento, no !! Va falloir qu'un jour tou bouge un poco tu culo !
- Mmmmmmmm....
- Allez ! Mueve ! Le bar va a cerrar !!
Elle lui tapota vigoureusement la tête qu'il tenait entre ses bras...
- Mmmmmm !!!! QUOI !!?
- CALMATE !!! YA ! Se radoucissant, Il est temps que tu te cuches, Pierrot, il est tard.
Il bailla à s'en décrocher la mâchoire et entrouvrit les yeux..
Pfff.... Il bailla de nouveau... J'vais me coucher, dit-il en allumant sa dernière cigarette...
- Tiens, prends ça... Elle lui tendit un petit papier... Il pourra t'arranger, il travaille à l'Amirauté et a beaucoup de ressources. Fais-le demander...

Il déplia le petit papier et pris connaissance du nom : "Garcia", Sergent Garcia, il avait déjà entendu parler de lui...