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Heinrich Von Forstner
Heinrich Von Forstner
Tempête
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Le crépuscule des Aigles Empty Le crépuscule des Aigles

Dim 30 Déc 2012, 20:38
Le crépuscule des Aigles

La lumière se fit progressivement dans le grand amphithéâtre de l'université de Saõ Paulo.
Peu à peu, les spots s'allumaient et les néons éclairaient de leur lumière crue, l'estrade puis les travées où les étudiants entassés sur les bancs, commentaient le film qui venait de s'achever.
La salle était comble, le brouhaha des conversations montait et couvrait le générique de fin.

- Por favor...

Trois professeurs se levèrent du premier rang pour rejoindre l'estrade. Debout derrière une longue table, un appariteur préparait les places pour les intervenants. L'un des professeurs s'avança, micro à la main, et demanda l'attention des étudiants.
Le silence revint rapidement lorsque se leva également du premier rang un vieux monsieur à la démarche un peu hésitante soutenu par sa canne et accompagné d'une jeune femme avec qui il parlait allemand. Un photographe les précédait et quelques flashes ponctuèrent leur arrivée sur l'estrade.

- Por favor... J'aimerai avoir votre attention, reprit le professeur.
"Vous avez conscience, je pense, que ce cours est un peu particulier. Il est marqué, comme vous le savez, par une visite exceptionnelle puisque nous avons la chance d'avoir un témoin direct de cette époque et des évènements que vous avez pu découvrir dans ce film inédit sur la bataille de l'Atlantique...
Merci de bien vouloir noter vos questions sur une feuille et de les faire passer jusqu'à nous afin que nous puissions les lire ici..."

Le vieux monsieur s'avança jusqu'à l'estrade et s'installa, un peu géné d'être mis ainsi en vedette, sur une chaise mise à sa disposition après avoir serré les mains des professeurs, tandis que l'appariteur vérifiait le bon fonctionnement des micros.
Les étudiants découvraient, avec un mélange de curiosité et de méfiance, un ancien officier de la Ubootwaffe, âgés de plus de quatre-vingt dix ans, qui venaient livrer les souvenirs de sa jeunesse perdue à une génération née dans le confort de l'après-guerre, et qui n'avait qu'une vague idée de ce qu'était cette tragique époque lointaine.

- Je vais rapidement faire les présentations. Madame Figueira, professeur d'allemand, sera notre interprête pour transmettre les questions que vous aurez posées. Monsieur Von Forstner parle également espagnol, et un peu portugais mais je pense que la conversation sera plus facile dans sa langue maternelle...

Le professeur d'histoire, Monsieur Da Cunha, s'avança vers le vénérable nonagénaire.

- Je remercie Monsieur Von Forstner, d'avoir bien voulu faire ce long voyage depuis le Chili où il réside, pour venir nous livrer ses souvenirs. Après un bref passage à la 1.RF, il fut commandant en second de la 34ème flottille de sous-marins basée à Lorient et qui opéra dans l'Atlantique jusqu'à la fin du conflit.
Nous aborderons tout à l'heure avec lui, s'il le veut bien, l'épisode tragique de la Bataille d'Ascension, où la marine Brésilienne a perdu six navires quand des sous-marins Allemands les ont attaqué par surprise, le 1er juin 194...
Monsieur Von Forstner n'a pas pris part directement à ce combat qui a été mené par un wolfpack de la 1.RF Vanaheim mais il a bien connu les différents protagonistes, Gunther Rall, Heinrich Schönder et Hans Ratberg, pour ne citer que les principaux, ces trois officiers ayant tous disparu en mer en 194...

Von Forstner, très droit, acquiesca de la tête, tandis que l'interprète se penchait pour lui donner à mi-voix, la traduction. L'appariteur avait rassemblé une dizaine de feuilles et les transmis au professeur qui tenait le micro. Celui-ci prit ses lunettes et parcourut rapidement les questions, visiblement géné.

- Bien... Je suis obligé d'écarter les questions volontairement trop... (il cherchait ses mots quelque peu mal à l'aise et ne voulant pas froisser son invité)... polémiques. Vous comprendrez que nous devons ici dépasser les rancoeurs nationales et ne laisser place qu'à l'histoire.

Un groupe d'étudiants en haut de l'amphithéâtre s'agita et lança quelques sifflets puis des invectives fusèrent. "Nazi !... Criminoso de guerra !... "
Le chahut gagna une partie des bancs, tandis que les professeurs peinaient à rétablir le calme.

- Por favor !...

Von Forstner impassible, fixait les bancs d'où était partie la contestation. Lui qui avait connu il y a si longtemps, la défaite, l'opprobre, le mépris et la prison lorsqu'il avait rejoint l'Argentine en juin 1945, ne parraissait être troublé outre mesure par le petit groupe d'excités qui prétendait perturber ce cours. Ces arguments péremptoires et faciles, cent fois entendus le laissaient de marbre. Il avait été un combattant, servant sa patrie dans la mesure de ses possibilités, un soldat loyal et non un criminel, laissant une chance à l'adversaire vaincu, dès que cela était possible et ne mettait pas en péril la sécurité de son bâtiment et de son équipage. La mer était cruelle et offrait peu de place pour la pitié, mais il ne servait à rien de vouloir discuter avec de gens qui ne pourrait pas vous comprendre. L'idéologie, qu'elle soit d'un bord ou de l'autre, aveugle l'esprit et fait perdre à l'être humain le peu qui le différencie de l'animal.
Le calme revient peu à peu, après que deux vigiles entrèrent dans l'amphithéâtre, pour menacer, matraque à la main, les perturbateurs.

- Bien... Je vais poser la première question...
Monsieur Von Forstner, pouvez-vous expliquer à nos étudiants quelles étaient vos missions durant la Bataille de l'Atlantique ?...

- Comme toutes les flottilles de sous-marins, notre mission principale était d'empécher l'arrivée des convois de ravitaillement vers la Grande Bretagne. Le blocus de l'Angleterre, s'il avait réussi, aurait évité le débarquement des Américains et notre défaite. Notre rôle était donc capital mais le haut commandement ne nous a pas donné assez de moyens pour mener à bien ces missions.
Notre secteur d'action a été la mer du Nord, l'Atlantique entre la Norvège et l'Islande, et le golfe de Gascogne. Si nos succès ont été importants dans les deux premières années du conflit, nos missions ont été de plus en plus difficiles à mesure que la lutte anti-sous-marine devenait plus efficace. Petit à petit, nous avons perdu l'avantage et les Alliés ont pu se renforcer. Nous étions contraints de naviguer en plongée la plupart du temps, grâce au Schnorchel, ce qui nous permettait de ne pas faire surface et de continuer de naviguer au diesel. Mais le gros temps dans l'Atlantique rend cet instrument peu pratique et nous avons beaucoup souffert des problèmes de surpression causés par l'impossibilité d'évacuer les gaz d'échappement...

- Sans vouloir rentrer dans des considérations trop techniques, je sais qu'après la guerre vous avez été un des conseiller de l'état-major de la marine chilienne, pourriez-vous nous donner quelques détails de la vie à bord d'un sous-marin en mission ?

La voix de Von Forstner était encore claire malgré son grand âge. Tout cela était si loin mais il avait encore une mémoire étonnamment fraiche et de nombreux détails ponctuaient ses réponses. Il avait par ailleurs déjà relaté tout cela dans un livre paru dans les années 60. Tous les ans, il retrouvait pour un banquet commémoratif, d'anciens compagnons de combat, réfugiés loin d'Allemagne depuis 1945, malgré les protestations de quelques intellectuels et d'associations de victimes de guerre. Leur nombre s'était réduit comme peau de chagrin et les anciens sous-mariniers, tous presque centenaires, se comptaient désormais sur les doigts de la main.

- C'était des conditions de vie très éprouvantes. Pourriez-vous vivre enfermé dans une boite de conserve pendant trente jours, sans vous laver, dans la promiscuité et les odeurs de 45 bonshommes, avec en permanence, l'humidité, le manque d'air, les reflux de gazoil, la nourriture moisie ?... Il faut être jeune, et doté d'un moral à toute épreuve... Ceux qui naviguent ou ont déjà fait un peu de navigation peuvent avoir une petite idée des conditions de vie à bord d'un navire de guerre. Mais dans un sous-marin à cette époque, c'était très primitif et encore plus difficile... Et avec cela, il ne faut pas qu'il y ait de bruit à bord, il ne faut pas bouger sous peine de modifier l'assiette du sous-marin, et vivre en permanence en état d'alerte, en espérant qu'un avion en patrouille ne nous repère pas...
Nous n'étions à peu près tranquilles que quand nous étions au milieu de l'Atlantique hors du rayon d'action des bombardiers. Ensuite, avec le nombre croissant de porte-avions, cela a été de nouveau très compliqué. C'était un peu le jeu du chat et de la souris. Et cette fois, c'est nous qui étions devenu les souris... Il n'était plus question de couler tous les navires passant à notre portée, il fallait d'abord sauver notre peau et rester en vie. Beaucoup d'entre nous, ont été coulé... 70 % des sous-mariniers sont morts au combat...

- Pourriez-vous donnez quelques informations sur la bataille d'Ascension ?

- Oui... Comme vous l'avez dit, je n'ai pas participé à cette bataille, mais le Konteradmiral Schönder que j'ai bien connu m'a livré quelques détails sur la tactique qui lui avait permis de piéger l'escadre brésilienne.
Bien sûr, cette tragédie pour votre pays a éprouvé de nombreuses familles et nous devons souhaiter que de tels évènements ne se reproduisent plus. Pour moi, il n'y a pas de vainqueurs, les marins doivent, un peu comme les pilotes, d'abord survivre à l'environnement hostile dans lequel ils se battent... Presque tous les commandants du wolfpack ont disparu en mer peu après et il ne restait que Krüger et Von Luthen, je crois. J'ai échappé à plusieurs grenadage et j'ai eu beaucoup de chance de m'en sortir.
Pour les survivants, il nous faut encore vivre avec ce poids, savoir que nous avons eu beaucoup de chance. Mais par respect pour la mémoire des victimes et de tous les combattants, nous devons poursuivre l'effort de mémoire et continuer d'apprendre aux jeunes générations ce qu'a été l'histoire du 20ème siècle.
Je suis au crépuscule de mon existence. Je ne vais pas renier ce que j'ai fait, ni me justifier. Il vous faut prendre un peu de recul par rapport à cette époque. Vous n'êtes pas obligés, commes nous l'avons été dans notre jeunesse, de porter un uniforme et d'accepter au nom des valeurs qu'on nous avait inculquées et de la notion de patrie, de mettre votre vie au service de votre pays... Et c'est pour cela qu'il vous est peut-être difficile de me comprendre.
Schönder a agit comme on nous l'enseignait à l'école navale : se regrouper, être discret et frapper d'un coup. Les navires Brésiliens faisaient un carnage sur nos convois de ravitaillement au large de l'île d'Ascension. Au périscope, les U-Boote suivaient les longs panaches de fumée qui signaient le naufrage des cargos. Schönder a avancé son wolfpack jusqu'à être à portée de tir et les six on envoyé leurs torpilles presque simultanément de nuit. La surprise a été totale, mais ça a été l'un des derniers fait d'arme de la 1.RF car après la perte de Schönder, mort dans l'océan Indien, Rall et Ratberg, disparus dans l'Atlantique, l'épine dorsale de la 1.RF a été brisée...

La disucussion se poursuivit encore une heure et le vieux monsieur au cheveux blancs commença à donner quelques signes de fatigue.
Le professeur Da Cunha mit un terme au cours en remerciant les différents intervenants, et les étudiants libérèrent l'amphithéâtre.
Von Forstner se fit raccompagner peu après jusqu'à son hôtel. Il y avait une petite réception donnée dans la soirée par les professeurs du département d'histoire de l'université, et il voulait se reposer un peu dans sa chambre. Il dormit une petite heure et se prépara tranquillement. Demain il reprendrait l'avion jusqu'à Rio puis Santiago où il retrouverait son pavillon du quartier résidentiel de Las Condes.
Le soir tombait, le temps était doux et agréable. Un air tiède montait jusqu'au balcon de l'hôtel.
Von Forstner regardait sous ses pieds la grande cité brésilienne qui vivait, trépidante de bruit, de mouvement, de chantiers, de travaux, d'activités de toute sorte. Les voitures avançaient en de longs serpentins dans des embouteillages classiques de début de soirée. Les gens bougeaient, respiraient, pensaient, vivaient toujours à cent à l'heure.
Pour lui le temps ne comptait plus. Il s'était arrêté.
Il attendait. Il attendait qu'on vienne le chercher. Après tout, il n'y avait plus que cela qu'il attendait maintenant, la mort... Pourquoi était-il encore là, tout seul, alors que ses amis étaient morts, que ses proches avaient disparus, pourquoi n'était elle pas déjà venu le prendre ? Pourquoi la grande faucheuse l'avait-elle épargné ? Qu'avait-il fait de plus ou de moins que les autres pour être ainsi épargné ?
Le temps s'était arrêté il y a bien longtemps.
Il vivait maintenant par procuration, sa vie n'était plus que souvenirs. Mais chaque jour qui passait était toujours un émerveillement de plus. Il appréciait de se réveiller chaque matin en se disant qu'il avait fait un petit pas de plus.
Le téléphone sonna ; c'était la réception de l'hôtel. Son taxi était devant l'entrée
"Je descends" dit-il et il raccrocha.

Il soupira.
Le grand départ ce serait pour une autre fois...





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