- LMFCréateur tout-puissant à la retraite
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Chronique d'une cité devastée
Dim 12 Juil 2009, 18:24
Le départ est un dimanche qui se meurt, emporté par la brume d'un jour d'hiver. Il est un envol d'oiseaux sauvages.
Les rails défilaient, perçaient un horizon déchiré de champs blanchis par la neige et l'aube d'un matin de février.
Du départ je m'y attendais un peu et pourtant qu'en penser ? Je ne savais qu'en dire, je restais stupéfait, devant le silence d'un froid compartiment que filtrait le soleil.
Le départ, c'est l'instant qui à jamais d'une ultime mort subite s'est fait renaissance. Tissu de vapeurs qui s'est emparé du quai et enveloppa les toits de cette Minsk que jadis nous empruntions ensemble.
C'est ainsi, soufflant au creux de mes paumes engourdis, je m'imaginais esquisser les modestes traits de ma nouvelle existence, enfantés par la mer et mes désirs.
Et autant que cela paraisse surprenant, je redoutais l'arrivée.
Je sentais la mort, j'avais le vertige.
Pourtant, le voyage était le principe essentiel de ma vie, il était ce qui me révélait au monde, il était le concept même qui faisait de moi un être pensant et aimant. Du moins, je m'étais égaré à le penser. A cet instant, j'en avais simplement la certitude, douce et rassurante voix qui me murmurait ce qu'au fond j'aimais entendre. Et rien de plus finalement.
Cependant, plus je vieillissais plus, plus cet écho se faisait pressant, il résonnait comme résonne les années passant. C'est pourquoi je suis parti, c'est pourquoi je ne reviendrais pas. Le temps ne le peut, qui le pourrait ?
Je me prénomme Barmadu, c'est ainsi que l'on m'a nommé, au nom d'un voyage au bout de la nuit. Mon avis à ce sujet ne compte que très peu, je m'en accommode depuis tant d'années. Il est le sourire morbide des enfances passées et de celles à venir. Il est le visage de tout les maux de l'homme qui le porte.
Sachez le bien, un nom ne meurt pas, un nom ne vieillit pas, les noms n'ont pas d'émotions, sans leurs porteurs les noms n'existe pas. Ils ne sont pas nos mémoires, ni nos tombeaux.
J'étais le nom Barmadu, mais enfin de l'homme qu'en était-il vraiment? De celui qui le porte, de ce qu'il était, de ce qu'il sera, et de ce nom qui à jamais ne changera.
La porte du compartiment claqua.
Un homme à la mine autant fatigué qu'austère dévoila une pince, il assura d'un geste véhément ses intentions.
-Billet camarade.
-Les voici, je suis seul.
-Sebastopol. Commenta t'il d'un sourcil relevé. Vous êtes pas le premier. Vous s'rez pas le dernier d'ailleurs. Il y avait tout un bataillon de la garde, y'a une semaine. Tout brillant de rouge et d'ocre qu'ils étaient vêtus.
Vous en êtes ?
Il caressa sa moustache d'un geste circonspect, adapté à l'instant, et qui faisait je suppose le charme du personnage. Quant à sa question que répondre ? Je caressais le calot blanc froissé entre mes cuisses.
-Pas que je sache. Je suis servant sur un garde-côtes de notre sérénissime marine populaire, Nazhezda. C'était son nom. Cet espoir relevait d'un certain macabre poétique. On avait tué pour moins que ça.
On tuait comme j'avais voyagé, par un même geste, délicat et brutal tout à la fois. A vous faire claquer les tympans. C'était ce que je m'étais dit.
Pour peu qu'on reconsidère la question, si voyager était interdit dans mon pays, il y avait une raison. Si tuer devenait légal, sous quelques conditions bien sûr, il me semblait normal qu'il y ait une raison. Et cette raison n'était pas la même ?
Le contrôleur opina, me salua et quitta mon compartiment.
Je m'enfonçais dans mes pensées.
Le train obliquait, sa locomotive infatigable conduisait ce triste char d'une parade révolue vers la mer.
Noire de jais.
De sang d'encre.
(A suivre...)
Les rails défilaient, perçaient un horizon déchiré de champs blanchis par la neige et l'aube d'un matin de février.
Du départ je m'y attendais un peu et pourtant qu'en penser ? Je ne savais qu'en dire, je restais stupéfait, devant le silence d'un froid compartiment que filtrait le soleil.
Le départ, c'est l'instant qui à jamais d'une ultime mort subite s'est fait renaissance. Tissu de vapeurs qui s'est emparé du quai et enveloppa les toits de cette Minsk que jadis nous empruntions ensemble.
C'est ainsi, soufflant au creux de mes paumes engourdis, je m'imaginais esquisser les modestes traits de ma nouvelle existence, enfantés par la mer et mes désirs.
Et autant que cela paraisse surprenant, je redoutais l'arrivée.
Je sentais la mort, j'avais le vertige.
Pourtant, le voyage était le principe essentiel de ma vie, il était ce qui me révélait au monde, il était le concept même qui faisait de moi un être pensant et aimant. Du moins, je m'étais égaré à le penser. A cet instant, j'en avais simplement la certitude, douce et rassurante voix qui me murmurait ce qu'au fond j'aimais entendre. Et rien de plus finalement.
Cependant, plus je vieillissais plus, plus cet écho se faisait pressant, il résonnait comme résonne les années passant. C'est pourquoi je suis parti, c'est pourquoi je ne reviendrais pas. Le temps ne le peut, qui le pourrait ?
***
Je me prénomme Barmadu, c'est ainsi que l'on m'a nommé, au nom d'un voyage au bout de la nuit. Mon avis à ce sujet ne compte que très peu, je m'en accommode depuis tant d'années. Il est le sourire morbide des enfances passées et de celles à venir. Il est le visage de tout les maux de l'homme qui le porte.
Sachez le bien, un nom ne meurt pas, un nom ne vieillit pas, les noms n'ont pas d'émotions, sans leurs porteurs les noms n'existe pas. Ils ne sont pas nos mémoires, ni nos tombeaux.
J'étais le nom Barmadu, mais enfin de l'homme qu'en était-il vraiment? De celui qui le porte, de ce qu'il était, de ce qu'il sera, et de ce nom qui à jamais ne changera.
La porte du compartiment claqua.
Un homme à la mine autant fatigué qu'austère dévoila une pince, il assura d'un geste véhément ses intentions.
-Billet camarade.
-Les voici, je suis seul.
-Sebastopol. Commenta t'il d'un sourcil relevé. Vous êtes pas le premier. Vous s'rez pas le dernier d'ailleurs. Il y avait tout un bataillon de la garde, y'a une semaine. Tout brillant de rouge et d'ocre qu'ils étaient vêtus.
Vous en êtes ?
Il caressa sa moustache d'un geste circonspect, adapté à l'instant, et qui faisait je suppose le charme du personnage. Quant à sa question que répondre ? Je caressais le calot blanc froissé entre mes cuisses.
-Pas que je sache. Je suis servant sur un garde-côtes de notre sérénissime marine populaire, Nazhezda. C'était son nom. Cet espoir relevait d'un certain macabre poétique. On avait tué pour moins que ça.
On tuait comme j'avais voyagé, par un même geste, délicat et brutal tout à la fois. A vous faire claquer les tympans. C'était ce que je m'étais dit.
Pour peu qu'on reconsidère la question, si voyager était interdit dans mon pays, il y avait une raison. Si tuer devenait légal, sous quelques conditions bien sûr, il me semblait normal qu'il y ait une raison. Et cette raison n'était pas la même ?
Le contrôleur opina, me salua et quitta mon compartiment.
Je m'enfonçais dans mes pensées.
Le train obliquait, sa locomotive infatigable conduisait ce triste char d'une parade révolue vers la mer.
Noire de jais.
De sang d'encre.
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Re: Chronique d'une cité devastée
Jeu 16 Juil 2009, 01:59
De Sébastopol, je ne savais qu'en dire, je l'avais rêvé comme on rêve d'une ile au cœur de la nuit. Éclairée de mille feux, ceux de la nuit porteuse de morts comme de songes.
Je me rappelle de la cité, nous sommes arrivés de nuit, une ceinture de remparts barrée son flanc et la mort. Cette odeur de mort, de défaite.
Une fusée rappela le destin tragique que vivait la cité, et le mien d'ailleurs.
Celle de tout un temps qui mourrait, celui des sourires d'un homme, d'un père.
Ô petit père, il me souriait encore, plus que jadis à vrai dire, et que pouvais-je faire.
J'ai bu tout mon soul et mon chagrin, seul dans ce compartiment. Dur comme cette pierre qui faisait les cathédrales. Froid comme le marbre qui les pavait.
Et je riais, je roulais de plaisir, ma vodka dans la main, et la peur aux tripes. Je roulais ma bosse, jusqu'à ce que mine m'en défasse.
Oui, j'y étais. J'arrivais au bout du voyage, au bout de la nuit, au bout de l'homme, de celui qui m'avait enfanté, l'homme socialiste, celui qui allait mourir. Pour son pays, pour la patrie et au nom de l'homme. Ou plutôt de son orgueil, celui de son drapeau, rouge comme le sang versé au nom du principe de nation, et au nom des suivants, ceux qui passeraient cette nuit l'arme à gauche. Que cela soient bénis.
Le train s'enfonça au cœur de la cité et de l'être qui la gardait. De l'homme qu'en était-il, je sais qu'il n'était que de chair et d'os, qu'il n'était pas celui qu'il croyait être, et que son voyage au bout de la nuit, de la mer, le conduirait au plus noir de lui même. Et qu'il finalement ne trouverait rien que le reflet de son visage, dur, et froid, celui qu'il s'était donné, qu'il avait cru être et qu'au fond il n'était pour rien au monde.
On pénétra dans la cité, toutes vapeurs dehors, comme mille voiles gonflés par le vent et la misère. Au cœur de celle-ci, rien ne fût pareil, au bout du quai, la mer. Cette ouverture sur la mer, sur le monde, sur mon être.
Et le Nazheda, ses diesels, ses odeurs, celles des hommes, des machines, et de ce juste accouplement entre l'esprit et la machine, ce Deux ex machina, qui m'unissait comme on bat la mesure du temps. D'un simple tambour.
Et Après ? Rien d'autre, le sentiment d'un temps révolu, et la guerre. Qui venait, déchirait le ciel d'un sourire macabre.
Être de sang et de larmes qui battait campagne à l'ouest, et qui venait avec l'aube, qui menait troupeaux, au son du canon et de la mitraille.
Meute de croix, de chenillettes, et de ceinturons gris comme les nuages qui se formaient à l'horizon.
Je n'avais plus d'espoir, le ciel me l'avait enlevé, et de Sebastopol il ne resterait plus rien.
Elle n'avait guère plus d'espoir que moi. Des deux je ne l'enviais guère. Moi il me restait le Nazehda mais elle ? La mort rien de plus et l'honneur pour les plus valeureux.
Je me rappelle de la cité, nous sommes arrivés de nuit, une ceinture de remparts barrée son flanc et la mort. Cette odeur de mort, de défaite.
Une fusée rappela le destin tragique que vivait la cité, et le mien d'ailleurs.
Celle de tout un temps qui mourrait, celui des sourires d'un homme, d'un père.
Ô petit père, il me souriait encore, plus que jadis à vrai dire, et que pouvais-je faire.
J'ai bu tout mon soul et mon chagrin, seul dans ce compartiment. Dur comme cette pierre qui faisait les cathédrales. Froid comme le marbre qui les pavait.
Et je riais, je roulais de plaisir, ma vodka dans la main, et la peur aux tripes. Je roulais ma bosse, jusqu'à ce que mine m'en défasse.
Oui, j'y étais. J'arrivais au bout du voyage, au bout de la nuit, au bout de l'homme, de celui qui m'avait enfanté, l'homme socialiste, celui qui allait mourir. Pour son pays, pour la patrie et au nom de l'homme. Ou plutôt de son orgueil, celui de son drapeau, rouge comme le sang versé au nom du principe de nation, et au nom des suivants, ceux qui passeraient cette nuit l'arme à gauche. Que cela soient bénis.
Le train s'enfonça au cœur de la cité et de l'être qui la gardait. De l'homme qu'en était-il, je sais qu'il n'était que de chair et d'os, qu'il n'était pas celui qu'il croyait être, et que son voyage au bout de la nuit, de la mer, le conduirait au plus noir de lui même. Et qu'il finalement ne trouverait rien que le reflet de son visage, dur, et froid, celui qu'il s'était donné, qu'il avait cru être et qu'au fond il n'était pour rien au monde.
On pénétra dans la cité, toutes vapeurs dehors, comme mille voiles gonflés par le vent et la misère. Au cœur de celle-ci, rien ne fût pareil, au bout du quai, la mer. Cette ouverture sur la mer, sur le monde, sur mon être.
Et le Nazheda, ses diesels, ses odeurs, celles des hommes, des machines, et de ce juste accouplement entre l'esprit et la machine, ce Deux ex machina, qui m'unissait comme on bat la mesure du temps. D'un simple tambour.
Et Après ? Rien d'autre, le sentiment d'un temps révolu, et la guerre. Qui venait, déchirait le ciel d'un sourire macabre.
Être de sang et de larmes qui battait campagne à l'ouest, et qui venait avec l'aube, qui menait troupeaux, au son du canon et de la mitraille.
Meute de croix, de chenillettes, et de ceinturons gris comme les nuages qui se formaient à l'horizon.
Je n'avais plus d'espoir, le ciel me l'avait enlevé, et de Sebastopol il ne resterait plus rien.
Elle n'avait guère plus d'espoir que moi. Des deux je ne l'enviais guère. Moi il me restait le Nazehda mais elle ? La mort rien de plus et l'honneur pour les plus valeureux.
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Re: Chronique d'une cité devastée
Jeu 03 Sep 2009, 23:44
***
On laissa Sébastopol derrière nous, avec toutes ses furies et la mort.
On la laissa et on l'oublia. Rien à faire. La vedette fendait une mer de sang.
Thor cessa de résonner, repus il ne frappait plus.
On navigua comme ça plusieurs heures sur une mer de désolation. Puis plus rien. Je crois que nos moteurs s'étaient tus. Une manœuvre de notre capitaine surement.
C'était un homme sous tout les angles vraiment admirable. Il nous aimait comme il aimait notre patrie. C'était juste que ça nous semblaient différent. Je veux dire, il avait sa manière de dire les choses. Et si il voyait les choses comme il les disait. Alors son monde devait être carrément clair et brillant. C'est ce que je me disais. Au fond on l'enviait tous un peu notre capitaine.
-Putain, Il nous a encore lâché. Le capitaine me dépassa à grands pas. Tout colère qu'il était le capitaine. Il aurait bouffé un amiral de la Kriegsmarine. Il était suivi de notre mécanicien, un homme qui n'aimait pas trop parler. Tous deux portaient une clé anglaise.
Le navire s'immobilisa.
Ça nous laissa le temps pour nous retourner sur le passé.
C'était pas vraiment toléré dans notre pays de se retourner. Fallait aller de l'avant qu'on nous avait appris. Au fond, c'était mieux comme ça.
De Sébastopol, on était un peu déçus. A vrai dire, y'avait plus rien à voir. Voluptes de fumées. En revanche en mer, c'était bien diffèrent. Quel animation !
On hurlait, on se noyait, on pleurnichait.
Mais surtout le silence. On entendait seulement le clapotis de l'eau et les vociférations étouffées de notre capitaine. Un peu comme si, ça venait du ventre de la machine.
Tout ça c'était une abîme comme on voyait qu'au théâtre. Sauf que là, ça nous faisait pas du plaisir.
On savait pas quoi penser, puis penser c'est dangereux pour la nation. Ça on le savait bien.
C'était un beau gâchis, mais on s'est pris à aimer ça.
Faut dire que c'est pas tout les jours qu'on meurt. Ça se fête. Mais c'était pas à nous d'en décider. Pour être poli, il aurait fallu leur demander, si on pouvait fêter ça. Mais on pouvait pas vraiment.
La scène a duré longtemps, puis nos moteurs sont repartis. On s'est fait prendre entrain de rêvasser sur la rambarde, moi et le servant de la mitrailleuse. On a gagné deux jours d'arrêt.
On laissa Sébastopol derrière nous. Elle et ses cadavres flottants. Un millier d'embarcations qui se consumaient comme des millions de bougies. On s'en détourna à jamais, doucement, sereinement.
Tout de même, on était bien embêté. Qu'allions nous faire ?
C'était pas qu'il n'y avait rien à faire, c'est qu'on ne savait quoi faire. Où aller après tout ça ?
Notre rafiot ne manquait pas de peine, nous pouvions dériver loin ainsi, au bout de toute chose. Mais pour aller où ?
J'avais confiance, le capitaine savait.
On était sauvé.
Je me sentais moins seul.
-Putain, bien fait pour ces connards de Rouge. Je crois que le capitaine parlait de nous tous. Ou plutôt de l'entité fraternelle qui faisait de nous une nation.
Une nation, qu'on était ! A l'école, c'était comme ça que nous l'avions appris plusieurs années auparavant.
Tout ça c'était pas nouveau, c'est sûr.
« Regardez ce que l'on a fait. Et pour quoi ? » S'exclama t'il de la timonerie en regardant quelques cadavres souriants.
« Voilà, où en est arrivé, tous des barbares. Les Rouges, les Noirs. Qu'on me laisse avec tout ça. »
Mais le capitaine ne voulait pas nous laisser. Il pestait contre vents et marées, et on voulait pas être éclaboussé.
On s'est tous tus et on a attendu.
Pour bien faire la guerre qu'il disait, il faut encore plus détester celui qui vous l'a fait. En tout cas, puisque le capitaine détestait la vie, sûr qu'il devait être un vrai combattant et un bon buveur.
Faut dire, souvent le capitaine nous a dit qu'il préférait mourir.
Encore plus après cela. Beaucoup voyaient pas trop pourquoi. On se laissait pas trop marquer par le passé, mais le capitaine lui, c'était un sentimental.
Puis la nuit est tombée, on a continué vers le large pour se donner un peu de distance. On allait chasser du sous-marin, j'étais assez impatient d'en découdre.
Pour Sébastopol même si c'était qu'une ville.
***
(A suivre...)
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Re: Chronique d'une cité devastée
Dim 27 Sep 2009, 19:22
Mon Dieu, le ciel s'est déchiré.
On a rien pu faire. Ça dépendait pas de nous. C'est juste que ça nous a surpris.
J'étais de garde cette nuit là, au poste de mitrailleur.
Je balayais la nuit. Je me tentais à tant d'égarements.
Le ciel, les nuages, la nuit, le silence.
Tout ça.
Faut dire que la nuit, c'est un peu le crépuscule de nos âmes chaque soir.
C'est ce que disait ma grand-mère, avant qu'une nuit d'hiver la fasse taire à tout jamais.
Une nuit qui aurait ravi Tolstoï comme à nul autre pareil.
Une belle nuit noire, sans étoiles, sans rien, juste le froid et le silence.
Une nuit comme celle-ci.
Puis j'ai regretté.
J'ai regretté pour Sébastopol et puis pour tout le reste. J'avais un peu honte de regretter. Ils étaient morts en héros qu'on nous avait dit.
Puis moi j'étais encore là. Après tout, j'avais encore tant à faire. Si c'était vrai.
Ainsi, le ciel s'est déchiré au dessus de moi de partout.
J'étais pris au cœur. Des fourmillements de partout, de la tête au pieds.
Le mort s'est abattu du ciel. Défilée de croix ailées. Puis le tonnerre des canons de la flotte.
Des bombardiers gammées qui nous en voulaient comme jamais.
Je n'en croyais pas mes yeux.
Derrière mes sacs de sable, je priais. Si j'avais sû au moins prier, mais ça personne ne me l'avait appris. On ne les voyait pas bien dans l'obscurité. Eux aussi ne nous voyaient pas bien. Tout le monde se tuaient au hasard.
C'était une formidable danse macabre.
Quel bordel ! Ça n'en finissait pas.
Une main m'a agrippé, c'était le navigateur. Il avait les traits tirés, le teint blanchâtre sous le casque bombé. Je crois qu'il perdait beaucoup de sang.
Il m'a hurlé à l'oreille :
-Tire pauvre con !
Puis il s'est affaissé. Alors j'ai tiré, tiré. Longtemps j'ai éclairé le ciel, je faisais mon champ de foire. J'avais moins peur. J'étais maître de mon destin. J'étais comme vissé à la gâchette des deux mitrailleuses jumelées. Tout se perdait dans le vacarme.
J'ai touché pas mal d'avions. Si c'est vrai je ne m'en rappelle plus. Ça n'avait pas d'importance semble t'il.
Par suite j'ai pas regretté. Je me suis endormi. Je sais pas si l'attaque était terminée à ce moment, mais je me suis endormi. Là dans un coin, derrière les sacs de sables.
(A suivre...)
On a rien pu faire. Ça dépendait pas de nous. C'est juste que ça nous a surpris.
J'étais de garde cette nuit là, au poste de mitrailleur.
Je balayais la nuit. Je me tentais à tant d'égarements.
Le ciel, les nuages, la nuit, le silence.
Tout ça.
Faut dire que la nuit, c'est un peu le crépuscule de nos âmes chaque soir.
C'est ce que disait ma grand-mère, avant qu'une nuit d'hiver la fasse taire à tout jamais.
Une nuit qui aurait ravi Tolstoï comme à nul autre pareil.
Une belle nuit noire, sans étoiles, sans rien, juste le froid et le silence.
Une nuit comme celle-ci.
Puis j'ai regretté.
J'ai regretté pour Sébastopol et puis pour tout le reste. J'avais un peu honte de regretter. Ils étaient morts en héros qu'on nous avait dit.
Puis moi j'étais encore là. Après tout, j'avais encore tant à faire. Si c'était vrai.
Ainsi, le ciel s'est déchiré au dessus de moi de partout.
J'étais pris au cœur. Des fourmillements de partout, de la tête au pieds.
Le mort s'est abattu du ciel. Défilée de croix ailées. Puis le tonnerre des canons de la flotte.
Des bombardiers gammées qui nous en voulaient comme jamais.
Je n'en croyais pas mes yeux.
Derrière mes sacs de sable, je priais. Si j'avais sû au moins prier, mais ça personne ne me l'avait appris. On ne les voyait pas bien dans l'obscurité. Eux aussi ne nous voyaient pas bien. Tout le monde se tuaient au hasard.
C'était une formidable danse macabre.
Quel bordel ! Ça n'en finissait pas.
Une main m'a agrippé, c'était le navigateur. Il avait les traits tirés, le teint blanchâtre sous le casque bombé. Je crois qu'il perdait beaucoup de sang.
Il m'a hurlé à l'oreille :
-Tire pauvre con !
Puis il s'est affaissé. Alors j'ai tiré, tiré. Longtemps j'ai éclairé le ciel, je faisais mon champ de foire. J'avais moins peur. J'étais maître de mon destin. J'étais comme vissé à la gâchette des deux mitrailleuses jumelées. Tout se perdait dans le vacarme.
J'ai touché pas mal d'avions. Si c'est vrai je ne m'en rappelle plus. Ça n'avait pas d'importance semble t'il.
Par suite j'ai pas regretté. Je me suis endormi. Je sais pas si l'attaque était terminée à ce moment, mais je me suis endormi. Là dans un coin, derrière les sacs de sables.
(A suivre...)
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Re: Chronique d'une cité devastée
Mar 17 Aoû 2010, 11:10
On a pas tous dormis paisiblement cette nuit là. Surtout qu'à l'aube, on a contre-attaqué. On les a pris au cou. On a une fois de plus éclairé le ciel de mille feux et tout a recommencé.
Cette fois, c'était nous. La guerre c'est chacun son tour, au fond c'est plutôt ordonné, faut simplement comprendre la logique.
On était en tête.
J'étais à mon poste. On m'a ordonné de tirer. J'ai tiré.
Quelle joie, le pont qui tremble, les couleurs de mon empreinte sur le ciel et la mer. Tout ça ensemble, je ne m'en lassais pas.
Puis le canon a surchauffé alors on a abandonné. Je me suis relevé derrière les mitrailleuses et j'ai regardé la mer, les balles traçantes, et les explosions qui ondulaient le long de l'horizon. Mes yeux m'ont piqué, à trop voir, je m'en brulais le visage comme jamais. J'étais ivre de vengeance, à n'en plus voir.
Puis on a recommencé à tirer, de violents coups secs, sans pitié, brulant de rage et de mépris. On s'est tenu ainsi au cœur de la formation quelques heures, peut être moins après tout. Difficile de savoir.
Une fois encore, tout s'est arrête, on s'est retrouvé seul.
J'ai bâché la mitrailleuse et je me suis laissé tomber entre les douilles vides sur le pont graisseux. Je me suis laissé du temps, j'ai posé mon casque et je me suis endormi. Bercé par les diesels du Nazehda, j'ai dormi tout mon soul, jusqu'à l'oubli.
Mais dans nos rêves, ça continuait. Il n'y avait rien à faire, c'était aussi la guerre dans nos têtes.
Et ça n'arrêtait jamais.
On le sentait, on gémissait dans l'aube naissante. Toute vie consciente cessa rapidement. Ne restait que le clapotis de l'eau contre la frêle coque du garde-côte. Tout le reste était déjà mort.
Nous étions tous étalés sur le pont, ça et là, à chaque recoin du navire. Le vent battait la mesure de cette triste musique de nuit.
Pendant plusieurs heures, rien ne flotta sur la mer, rien sinon le silence des faits accomplis.
Puis d'un commun orgueil, chacun se leva, la mine déconfite, celle des lendemains de fête.
Les pieds dans l'eau.
Les pieds mouillés.
On grelottait en Mare incognita, mais au fond ça nous faisait une belle jambe. On avait passé la nuit, on était sauvé jusqu'à demain.
Puis tout recommencerait, comme chaque fois. Au fond c'était mieux comme ça.
On en profita pour laver le pont, le dégager de ses cadavres passés et assurer quelques réparations de fortunes.
On engagea une dangereuse course contre la mort. Tuer la mort et ne pas être tué, c'était devenu notre credo de bord.
Ça nous donnait du baume au cœur. Parce que tout d'un coup la patrie, elle nous sembla bien loin. Même que le soleil nous réchauffait plus.
On poussait vers Poti, mais personne à bord en aurait juré, car ici c'était la mer qui décidait.
Le capitaine poussa notre vaillante plus à l'est face au soleil qui nous brulait le visage.
Puis le capitaine nous ordonna de reprendre la chasse.
On cherchait un certain Dietrich et son fameux U-666. C'était notre Satan à nous. Faut dire qu'il faisait l'enfer de chacun ici. Un enfer qui broyait le métal et la chair, de nuit comme de jour et qui laissait derrière lui d'innombrables cadavres. C'était notre élément constitutif. On voulait donc lui rendre la monnaie de la pièce.
On devait le trouver et le détruire tout Satan qu'il était. On lui donna la chasse la peur au ventre pendant deux jours. Au fond, nous étions fiers, c'était pas tout les jours que l'on traquait la mort.
(A suivre...)
Cette fois, c'était nous. La guerre c'est chacun son tour, au fond c'est plutôt ordonné, faut simplement comprendre la logique.
On était en tête.
J'étais à mon poste. On m'a ordonné de tirer. J'ai tiré.
Quelle joie, le pont qui tremble, les couleurs de mon empreinte sur le ciel et la mer. Tout ça ensemble, je ne m'en lassais pas.
Puis le canon a surchauffé alors on a abandonné. Je me suis relevé derrière les mitrailleuses et j'ai regardé la mer, les balles traçantes, et les explosions qui ondulaient le long de l'horizon. Mes yeux m'ont piqué, à trop voir, je m'en brulais le visage comme jamais. J'étais ivre de vengeance, à n'en plus voir.
Puis on a recommencé à tirer, de violents coups secs, sans pitié, brulant de rage et de mépris. On s'est tenu ainsi au cœur de la formation quelques heures, peut être moins après tout. Difficile de savoir.
Une fois encore, tout s'est arrête, on s'est retrouvé seul.
J'ai bâché la mitrailleuse et je me suis laissé tomber entre les douilles vides sur le pont graisseux. Je me suis laissé du temps, j'ai posé mon casque et je me suis endormi. Bercé par les diesels du Nazehda, j'ai dormi tout mon soul, jusqu'à l'oubli.
Mais dans nos rêves, ça continuait. Il n'y avait rien à faire, c'était aussi la guerre dans nos têtes.
Et ça n'arrêtait jamais.
On le sentait, on gémissait dans l'aube naissante. Toute vie consciente cessa rapidement. Ne restait que le clapotis de l'eau contre la frêle coque du garde-côte. Tout le reste était déjà mort.
Nous étions tous étalés sur le pont, ça et là, à chaque recoin du navire. Le vent battait la mesure de cette triste musique de nuit.
Pendant plusieurs heures, rien ne flotta sur la mer, rien sinon le silence des faits accomplis.
Puis d'un commun orgueil, chacun se leva, la mine déconfite, celle des lendemains de fête.
Les pieds dans l'eau.
Les pieds mouillés.
On grelottait en Mare incognita, mais au fond ça nous faisait une belle jambe. On avait passé la nuit, on était sauvé jusqu'à demain.
Puis tout recommencerait, comme chaque fois. Au fond c'était mieux comme ça.
On en profita pour laver le pont, le dégager de ses cadavres passés et assurer quelques réparations de fortunes.
On engagea une dangereuse course contre la mort. Tuer la mort et ne pas être tué, c'était devenu notre credo de bord.
Ça nous donnait du baume au cœur. Parce que tout d'un coup la patrie, elle nous sembla bien loin. Même que le soleil nous réchauffait plus.
On poussait vers Poti, mais personne à bord en aurait juré, car ici c'était la mer qui décidait.
Le capitaine poussa notre vaillante plus à l'est face au soleil qui nous brulait le visage.
Puis le capitaine nous ordonna de reprendre la chasse.
On cherchait un certain Dietrich et son fameux U-666. C'était notre Satan à nous. Faut dire qu'il faisait l'enfer de chacun ici. Un enfer qui broyait le métal et la chair, de nuit comme de jour et qui laissait derrière lui d'innombrables cadavres. C'était notre élément constitutif. On voulait donc lui rendre la monnaie de la pièce.
On devait le trouver et le détruire tout Satan qu'il était. On lui donna la chasse la peur au ventre pendant deux jours. Au fond, nous étions fiers, c'était pas tout les jours que l'on traquait la mort.
(A suivre...)
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Re: Chronique d'une cité devastée
Mar 17 Aoû 2010, 11:10
A bord, l'un des mitrailleurs lisait beaucoup. On aimait pas trop ça. On ne savait pas ce que ça pouvait cacher. Après tout pouvait bien penser le mal, le boire, le lire, on en aurait rien su nous.
Moi ça ne me laissait pas tranquille.
Nous ne voulions pas penser, je ne voulais rien en savoir. Mais lui il me rappelait l'implacable nécessité, celle qui nous pousse à vouloir savoir à tout prix.
Et comme nous n'en savions rien, ça nous dégoutait.
Il y avait dans tous ses livres de quoi nous faire vomir.
Tous.
Sans exception.
Au fond, nous ne voulions rien de tout cela, juste de quoi vivre.
Les idées n'étaient pas pour nous, on en avait rien à faire. Puis on était condamné, on le savait.
Lui il nous le rappelait à chaque fois. J'aurais voulu le tuer, écraser sa tête contre le mur de fonte, ne plus le voir, ne plus voir son visage concentré, ne plus rien voir de tout ça.
Qu'il disparaisse.
Mais c'était impossible. Il était là et il n'avait rien à faire.
A ce moment, j'aurais donné toute ma paye pour retrouver le suave gout de l'alcool sur mes lèvres, la délicate chaleur du breuvage s'enfonçant au cœur de mon être, et ma conscience se mourant dans un éternel répit.
Juste pour voir, revoir, ce que je ne voulais entrevoir. Toucher un peu de ce qui me faisait, même si c'était pour de faux, juste un instant.
Mais rien n'y faisait.
J'étais consommé, comme tous ceux de Sébastopol. On rattrapait l'acte qu'on avait raté. Le temps nous manquait alors il fallait conclure, avec panache de préférence.
Nous restait la mer, froide et morne.
On continuait donc, autant que Nazehda pouvait nous porter, vers l'antre du démon.
(A suivre...)
Moi ça ne me laissait pas tranquille.
Nous ne voulions pas penser, je ne voulais rien en savoir. Mais lui il me rappelait l'implacable nécessité, celle qui nous pousse à vouloir savoir à tout prix.
Et comme nous n'en savions rien, ça nous dégoutait.
Il y avait dans tous ses livres de quoi nous faire vomir.
Tous.
Sans exception.
Au fond, nous ne voulions rien de tout cela, juste de quoi vivre.
Les idées n'étaient pas pour nous, on en avait rien à faire. Puis on était condamné, on le savait.
Lui il nous le rappelait à chaque fois. J'aurais voulu le tuer, écraser sa tête contre le mur de fonte, ne plus le voir, ne plus voir son visage concentré, ne plus rien voir de tout ça.
Qu'il disparaisse.
Mais c'était impossible. Il était là et il n'avait rien à faire.
A ce moment, j'aurais donné toute ma paye pour retrouver le suave gout de l'alcool sur mes lèvres, la délicate chaleur du breuvage s'enfonçant au cœur de mon être, et ma conscience se mourant dans un éternel répit.
Juste pour voir, revoir, ce que je ne voulais entrevoir. Toucher un peu de ce qui me faisait, même si c'était pour de faux, juste un instant.
Mais rien n'y faisait.
J'étais consommé, comme tous ceux de Sébastopol. On rattrapait l'acte qu'on avait raté. Le temps nous manquait alors il fallait conclure, avec panache de préférence.
Nous restait la mer, froide et morne.
On continuait donc, autant que Nazehda pouvait nous porter, vers l'antre du démon.
(A suivre...)
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Re: Chronique d'une cité devastée
Mar 17 Aoû 2010, 11:11
Le Diable vous trouve toujours. Il vous donne l'illusion de le dominer mais en fait c'est lui qui vous tient, et ça l'amuse.
On passe sa vie d'homme à le chercher mais au final, c'est lui qui vous trouve.
Il vous sourit sans passion et vous frappe en plein cœur. Il vous donne l'illusion du choix, mais ce n'est que mensonges. Au fond, on le sait mais on se laisse volontiers corrompre.
Ne reste alors que la vérité, froide, rude, qui ne vous quitte plus.
Tout s'est figé dans un bourdonnement d'images, de couleurs et de sons, mon matelas, ma couchette, ma vie.
Puis tout s'est volatilisé
Lumière intense qui se meurt dans le noir.
L'eau qui vous embrasse de tout son soul, bouleverse votre âme pour se retirer dans un éternel ressac.
J'ai quitté la plage des consciences, j'ai nagé aussi loin que j'ai pu et je me suis noyé.
La veilleuse s'est éteinte, l'obscurité nous a enveloppé de ses tristes limbes.
Puis la mer est entrée dans notre compartiment, sans autre cérémonie qu'elle même.
Elle a tout englouti, même Kalev, même Viktor.
J'étais pétrifié.
Un bras m'a tiré vers la gauche.
Un geste sec et mesuré.
C'était notre mécanicien.
-Allez petit. T'as rien. Bouge toi ! Faut se tirer d'ici avant que l'eau ait tout emportée.
On a sauté à la mer.
De là, le Nazehda a sombré, emporté par les flots implacables de la démence.
Éventré par la fatalité, il a coulé corps et âmes.
Bientôt ne nous resta plus que le silence des tristes heures pour seul compagnons.
On nagea longtemps parmi les cadavres et les débris.
L'eau était gelée. Tout était froid, tout était mort.
On nagea sans but, de débris en cadavres, dans la nuit de ce froid mois de Novembre.
Puis le mécanicien et moi, on trouva un canot éventré qui flottait encore par je ne sais quel miracle.
On est monté dedans, puis on s'est fait oublié.
Les bras en croix, couché sur le dos, on a attendu.
Les nuages étaient si noir. Rien ne filtrait.
Tout était devenu si noir depuis le naufrage du Nazhezda.
Plus d'incendie.
Plus rien.
J'étais pas rassuré, alors j'ai demandé hésitant.
-Tu penses qu'on est les seuls survivants ?
L'obscurité était telle.
Le mécanicien n'a pas répondu. Je crois qu'au fond, il ne répondrait plus jamais.
Il me laissa seul, transi et affamé sur mon radeau, la mort dans l'âme à avoir trop fait la guerre.
J'ai attendu, heure après heure. Chaque minute était une vie. Chaque souffle me faisait souffrir.
Les yeux grands ouverts, je regardais ces nuages. Je cherchais à penser.
Puis mes muscles se sont contractés. Le froid m'a pris.
J'ai glissé sur le coté et la mer m'a emporté. Je me suis enfoncé au plus profond des mondes.
Une lumière m'a soudainement envahie.
J'avais envie de vivre.
J'étais trop lâche pour mourir comme les autres, comme tous ceux de Sébastopol.
J'ai battu des pieds, j'étais en lutte contre la mort.
J'ai crevé la surface.
Un lourd navire de guerre s'est allongé à mes cotés.
Une ville que je connaissais, un navire que j'avais déjà vu ailleurs.
J'avais trop envie de vivre.
Je revoyais ma chère Minsk.
(Suite et fin)
On passe sa vie d'homme à le chercher mais au final, c'est lui qui vous trouve.
Il vous sourit sans passion et vous frappe en plein cœur. Il vous donne l'illusion du choix, mais ce n'est que mensonges. Au fond, on le sait mais on se laisse volontiers corrompre.
Ne reste alors que la vérité, froide, rude, qui ne vous quitte plus.
Tout s'est figé dans un bourdonnement d'images, de couleurs et de sons, mon matelas, ma couchette, ma vie.
Puis tout s'est volatilisé
Lumière intense qui se meurt dans le noir.
L'eau qui vous embrasse de tout son soul, bouleverse votre âme pour se retirer dans un éternel ressac.
J'ai quitté la plage des consciences, j'ai nagé aussi loin que j'ai pu et je me suis noyé.
La veilleuse s'est éteinte, l'obscurité nous a enveloppé de ses tristes limbes.
Puis la mer est entrée dans notre compartiment, sans autre cérémonie qu'elle même.
Elle a tout englouti, même Kalev, même Viktor.
J'étais pétrifié.
Un bras m'a tiré vers la gauche.
Un geste sec et mesuré.
C'était notre mécanicien.
-Allez petit. T'as rien. Bouge toi ! Faut se tirer d'ici avant que l'eau ait tout emportée.
On a sauté à la mer.
De là, le Nazehda a sombré, emporté par les flots implacables de la démence.
Éventré par la fatalité, il a coulé corps et âmes.
Bientôt ne nous resta plus que le silence des tristes heures pour seul compagnons.
On nagea longtemps parmi les cadavres et les débris.
L'eau était gelée. Tout était froid, tout était mort.
On nagea sans but, de débris en cadavres, dans la nuit de ce froid mois de Novembre.
Puis le mécanicien et moi, on trouva un canot éventré qui flottait encore par je ne sais quel miracle.
On est monté dedans, puis on s'est fait oublié.
Les bras en croix, couché sur le dos, on a attendu.
Les nuages étaient si noir. Rien ne filtrait.
Tout était devenu si noir depuis le naufrage du Nazhezda.
Plus d'incendie.
Plus rien.
J'étais pas rassuré, alors j'ai demandé hésitant.
-Tu penses qu'on est les seuls survivants ?
L'obscurité était telle.
Le mécanicien n'a pas répondu. Je crois qu'au fond, il ne répondrait plus jamais.
Il me laissa seul, transi et affamé sur mon radeau, la mort dans l'âme à avoir trop fait la guerre.
J'ai attendu, heure après heure. Chaque minute était une vie. Chaque souffle me faisait souffrir.
Les yeux grands ouverts, je regardais ces nuages. Je cherchais à penser.
Puis mes muscles se sont contractés. Le froid m'a pris.
J'ai glissé sur le coté et la mer m'a emporté. Je me suis enfoncé au plus profond des mondes.
Une lumière m'a soudainement envahie.
J'avais envie de vivre.
J'étais trop lâche pour mourir comme les autres, comme tous ceux de Sébastopol.
J'ai battu des pieds, j'étais en lutte contre la mort.
J'ai crevé la surface.
Un lourd navire de guerre s'est allongé à mes cotés.
Une ville que je connaissais, un navire que j'avais déjà vu ailleurs.
J'avais trop envie de vivre.
Je revoyais ma chère Minsk.
(Suite et fin)
- LMFCréateur tout-puissant à la retraite
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Re: Chronique d'une cité devastée
Mar 17 Aoû 2010, 11:11
St-Petersbourg 1993
Je suis cet homme au pardessus noir qui marche le long d'un trottoir vide.
Vous savez, chaque sculpture est une affaire de sens, une affaire de cœur.
C'est un don de soi au temps et à l'Art. Depuis 10 ans, je n'ai donné que moi même, c'est tous ce que j'ai eu, c'est tout ce que je donnerais.
J'ai sauvé leurs âmes.
Je les ai volées de ma mémoire pour chaque parcelle de pierre que je taille à ma manière.
Chaque instant de ma maudite vie, je me suis dédié à ce rédempteur acte.
Gris salut.
Jamais ne juge.
J'ai sculpté le Minsk. Je n'ai jamais oublié ni Kalev, ni Viktor, ni le capitaine.
J'ai sculpté le Nazehda, je lui ai donné plus que mon âme, j'en ai usé jusqu'à ma raison de vivre.
Il n'en reste rien.
Mon atelier est ma vie, mon intériorité dévoilée au monde qu'elle juge sans compassion. Il n'y en a jamais eu.
J'y ai frappé l'espace et le temps.
J'ai 74 ans passés, vous savez.
A mon âge, tout s'est échappé et je n'ai plus la force de me rappeler.
Je n'ai plus rien à dire, mes sculptures parlent pour moi. Elles expriment ce que nous étions.
Des soldats, des marins, mais aussi des hommes et des femmes.
Elles parlent de ceux qui sont morts et de ceux qui auraient dû mourir.
Elles parlent du temps qui passe, de la guerre, de la mort, des souffrances, mais aussi de la vie, de l'amour et de l'espoir.
Elles parleront tant qu'il y aura des hommes pour les voir, les aimer, les détester.
Mon atelier c'est un peu de notre condition.
Dans cet atelier, je vois un homme, il sculpte un blanc navire qui jamais ne voguera. La coque pointe vers la mer mais jamais ne la touchera. Personne ne manque, pas un camarade. Qui pourrait manquer ?
Autour, le sculpteur se joue de la matière, les porte à la vie. Je vois le capitaine me regarder avec une compassion silencieuse.
Assis non loin de lui, observe une assemblée de pales visages éternellement figés.
Il y a le mitrailleur, il y a Kalev, il y a Viktor.
Mais seul le sculpteur frappe, la respiration saccadée.
Il accomplit son œuvre, une dernière fois.
Ses martèlements se mêlent aux ronronnements des voitures de l'avenue de la Néva, dansent sur les toitures grises du théâtre Mariinsky, s'égarent dans les parcs et les fleuves, longent les voies ferrés pour se perdre aux fonds des océans.
À jamais.
Le départ est un dimanche qui se meurt, emporté par la brume d'un jour d'hiver. Il est un envol d'oiseaux sauvages...
Je suis cet homme au pardessus noir qui marche le long d'un trottoir vide.
Vous savez, chaque sculpture est une affaire de sens, une affaire de cœur.
C'est un don de soi au temps et à l'Art. Depuis 10 ans, je n'ai donné que moi même, c'est tous ce que j'ai eu, c'est tout ce que je donnerais.
J'ai sauvé leurs âmes.
Je les ai volées de ma mémoire pour chaque parcelle de pierre que je taille à ma manière.
Chaque instant de ma maudite vie, je me suis dédié à ce rédempteur acte.
Gris salut.
Jamais ne juge.
J'ai sculpté le Minsk. Je n'ai jamais oublié ni Kalev, ni Viktor, ni le capitaine.
J'ai sculpté le Nazehda, je lui ai donné plus que mon âme, j'en ai usé jusqu'à ma raison de vivre.
Il n'en reste rien.
Mon atelier est ma vie, mon intériorité dévoilée au monde qu'elle juge sans compassion. Il n'y en a jamais eu.
J'y ai frappé l'espace et le temps.
J'ai 74 ans passés, vous savez.
A mon âge, tout s'est échappé et je n'ai plus la force de me rappeler.
Je n'ai plus rien à dire, mes sculptures parlent pour moi. Elles expriment ce que nous étions.
Des soldats, des marins, mais aussi des hommes et des femmes.
Elles parlent de ceux qui sont morts et de ceux qui auraient dû mourir.
Elles parlent du temps qui passe, de la guerre, de la mort, des souffrances, mais aussi de la vie, de l'amour et de l'espoir.
Elles parleront tant qu'il y aura des hommes pour les voir, les aimer, les détester.
Mon atelier c'est un peu de notre condition.
Dans cet atelier, je vois un homme, il sculpte un blanc navire qui jamais ne voguera. La coque pointe vers la mer mais jamais ne la touchera. Personne ne manque, pas un camarade. Qui pourrait manquer ?
Autour, le sculpteur se joue de la matière, les porte à la vie. Je vois le capitaine me regarder avec une compassion silencieuse.
Assis non loin de lui, observe une assemblée de pales visages éternellement figés.
Il y a le mitrailleur, il y a Kalev, il y a Viktor.
Mais seul le sculpteur frappe, la respiration saccadée.
Il accomplit son œuvre, une dernière fois.
Ses martèlements se mêlent aux ronronnements des voitures de l'avenue de la Néva, dansent sur les toitures grises du théâtre Mariinsky, s'égarent dans les parcs et les fleuves, longent les voies ferrés pour se perdre aux fonds des océans.
À jamais.
Le départ est un dimanche qui se meurt, emporté par la brume d'un jour d'hiver. Il est un envol d'oiseaux sauvages...
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