Le retour du Kraken

- Campagne : « Contact ! Contact de partout ! » -

« Par les tourmentes déchainées, par les trombes qui déferlent, par les ruptures qui déchirent… »
Sourate 77 – Al-Mûrsalât – Le Coran

« … Il est dorénavant recommandé aux équipes de passerelle de s’équiper de la dotation préconisée plus haut et de faire preuve d’une vigilance accrue tout le long du quart… »
Recommandation N°34 des Services de Santé aux Armées datant du 12/11/194*

Quelque part en Atlantique Sud – U-1059 – Type VIIF

« Le commandant est demandé au poste central, le commandant… », répétait inlassablement un matelot fatigué, mais le commandant s’entretenait déjà avec Frentzel, le sonar, quelque part dans l'obscur bâtiment. Il était 5h du matin. Tout était calme à bord de la vache à lait. La zone étant peu fréquentée, la mission banale, pourquoi en serait-il autrement ?

« J’ai un contact au 280, cela arrive rapidement, jamais vu une telle signature », expliquait à demi-mot Frentzel, une oreille contre son casque. Intrigué, le commandant ne savait que répondre. Il attendait. « Cela s’approche commandant. Ce sera sur nous par dessous dans quelques secondes ».
Il eut comme un grattement étrange le long de la coque. Le navire tressauta légèrement. Le coq renversa son café. Plusieurs jurons colorés firent échos. Puis un silence inquiétant ; chacun parcourant du regard l’exigu bâtiment. « J’ai perdu le contact, commandant » annonçait maintenant Frentzel dans l’incompréhension la plus totale. « Si c'était une torpille, elle n’a pas explosé on dirait » commentait un barreur circonspect. Tel une vache malade, le navire glissait maintenant par le flanc.
« On dérive par 20° bâbord », annonça une voix brisée par l’inquiétude. « 16m ! On s’enfonce, commandant », ajouta rapidement un matelot. Le navire commença à s’effondrer sur lui-même. « Qu’est-ce que ce bordel… », le navire grinçait de plus en plus. Plusieurs vis sautèrent suivi rapidement par quelques fusibles.
Puis tout devint noir.

« Commandant, COMMANDANT ! »
En proie à la plus sourde des peurs, le Commandant Krickle, 5e patrouille, balbutia avant de crier « Chass…Chassez tout ! TOUT DE SUITE ! Tout le monde à l’arrière. Paré à faire surface. Par...MAINTENANT »
Un sourd klaxon explosa dans tout le navire.
Les plombs avaient sauté, l’eau s’infiltrait partout. On hurlait. On tentait de colmater les brèches et de soigner les blessés. Cela courait, cela jurait mais le navire, lui, ne bougeait pas.
Comme pris dans l’étau d’une mort inéluctable, le submersible roulait sur lui-même mû par une force supérieur.
Un violent choc déchira le navire en deux. Un rideau d’eau pulvérisa tout.
Frentzel mourut immédiatement, littéralement broyé contre les ballasts tribord, suivi par tous les membres du poste central.
La pression acheva de dessiner ce qui serait, à jamais, le tombeau des marins du U-1059.

Quelque part en Atlantique Sud – HMS Tigris – Classe T

« Nom de Dieu, mais qu’est-ce que c’est que cette horreur », le commandant du HMS Tigris en mordait sa casquette.
Il n’en revenait pas. La mer s’était comme ouverte et de ce vide jaillissaient six énormes bras visqueux qui fendaient l'air en quète de quelque chose à briser. Marshall ne comprenait pas. Ses repères fondaient comme neige au soleil et pourtant il ne pouvait quitter des yeux ce macabre spectacle. Il se contenta de jurer une fois de plus, comme pour conjurer le sort. La créature de la taille d’un petit cuirassé s’était enroulée autour de sa pauvre victime.
Le bâtiment roulait maintenant sur lui-même tout en se désagrégeant

Puis d’un coup, comme si cela était écrit, la démoniaque créature brisa en deux le navire dans un terrible craquement.
La mer implosa de part en part et ce qu’il restait de la proie du HMS Tigris fût arrachée de la surface pour rejoindre les fonds marins. Comme si rien ne s'était jamais produit, le céphalopode ne laissa derrière lui qu'une eau bouillonnante que berçait paisiblement l'aube naissante.
Rapidement, la stupeur fit place à la peur, puis le silence emporta tout.
De la scène, du U-boot, de la créature, il ne restait maintenant plus rien, sinon l'étrange conviction que le monde était devenu fou.
Le temps passa. Les secondes firent lentement place aux minutes puis, blême, le commandant se tourna lentement vers le poste central et commença à mi-voix :
« Surface...Les deux bords en lente, cap au 125. Je dois contacter l'amirauté immédiatement. Ils ne me croiront jamais. »

Poussé par une fièvre destructrice, les hommes avaient troublé le sommeil de la mort. Ils allaient maintenant connaitre la colère des dieux en la présence d'une froide Némésis, d'un appel à la nature qui renverrait la civilisation humaine au temps les plus reculés du Monde...