Un bar bien pourvu...

Dans le crépuscule du soir, teinté d'une lumière rouge diffusée par le couchant, deux hommes flânaient dans une rue étroite. On ne pouvait deviner qu'il s'agissait de marins combattants pour la France, ils portaient tous deux des vêtements civils et ressemblaient à n'importe qui. Mais à bien y regarder on pouvait voir apparaitre sous le blouson de cuir marron de l'un d'eux, l'insigne discrète des combattans français, la croix doublement barrée...

Il s'agissait là du Capitaine Daucourt et de son vaillant second, Georges Birsou qui avait permis quelques jours plus tôt d'éviter à son commandant un naufrage qui aurait coûté de la vie à de nombreux hommes. Tout en déambulant entre les immeubles, leur discussion allait bon train :

Tu es bien sûr de ce que tu dis Georges? Vraiment sûr?

Pas l'ombre d'un doute!répondit l'autre avec un sourire malicieux.Vous verrez...

Les deux larrons continuèrent leur chemin et bifurquèrent dans une ruelle sombre, C'est ici. Entrons!

Il s'agissait d'un bouge ma foi fort sympathique. Derrière les vapeurs de fumée des cigarettes on distinguait un large comptoir en bois, au plafond un large lustre en verre donnait au lieu une lumière des plus douces et aceuillantes. Dans un coin, une partie de carte endiablée animait tout cela et le vieux poste diffusait une chanson d'Edith Piaf.
Le tenancier était un gros bonhomme a l'air jovial, ses moustaches étaient larges et touffues, elles remontaient sur les côtés très haut avec une belle courbure. Un début de calvitie pointait sur sa tête et, penché comme il était derrière son bar on ne distinguait que ça. Tandis que Georges s'approcha du bar, le tavernier haussa le regard et, reconnaissant celui qui se tenait en face de lui eut un grand éclat de rire!

Sapristi! Georges... Mais que viens-tu foutre ici-bas! Alors ça! Si je m'attendais!

Les deux hommes se firent une franche poignée de main en riant ensemble, chacun avait mille choses à dire mais avant que la conversation prennent de l'ampleur, Birsou coupa la conversation et se tourna vers son compagnon.

Attends Jean, il faut que je te présente. Voici Carles Daucourt, je sers sous ses ordres à bord d'un bateau français. Capitaine, voici Jean Datiot, un ami de longue date.

De longue date ça tu peut le dire, voyez-vous capt'ain le petit Georges et moi on a passé notre enfance ensemble, à l'âge de 15 ans on se faisait piquer de temps en temps par le père saoûls comme des cochons au fond du caveau... Ah c'était le bon temps! Mais t'es donc devenu soldat?

Ouep, vieux frère, dans la marine et je peux te dire qu'on leur en fait baver aux bosches, pour sûr!

Jean fit un clin d'oeil à son ami questionna : Toi je sais et pour vous commandant, qu'est-ce que je vous sert?

Après un instant d'hésitation il se risqua :Je sais bien qu'en temps de guerre ça ne doit pas être facile mais Georges m'a affirmé que si. Si vous auriez un petit Saint-émilion je ne cracherai pas dessus.

Ah je vois que monsieur a du goût! Chez moi tout est possible!

Le gros bonhomme disparût derrière une grosse porte laissant seul les deux camarades.

Vous voyez je vous l'avais bien dit, c'est un débrouillard, si vous saviez tous les coups fûmants qu'on a fait de par chez nous dans le Beaujolais! Qu'est-ce qu'on a ri!

Quelques instants plus tard Jean revint avec le vin dans une main et du whisky dans l'autre. Voilà, offert par la maison!

Tandis que les deux compères s'étaient lancé dans une discussion des plus interminables, Daucourt s'excusa auprès d'eux et partit s'asseoir avec sa bouteille à une table tout contre le mur. Il paraissait fatigué et se laissait aller à la rêverie tandis que le vin et les chansons commençaient à plonger son esprit dans un lit cotônneux.